Lettre ouverte à l’attention du POP-Vaud à propos de l’invitation de Michel Collon à Lausanne

Chères amies, chers amis, 

C’est avec surprise que nous avons appris l’organisation par le POP d’une conférence au Cazard, le 30 octobre prochain, avec Michel Collon intitulée « Palestine, Ukraine : comment décoder la propagande de guerre »

Depuis maintenant des décennies, Michel Collon s’est distingué par une vision binaire des relations internationales où la division fondamentale du monde est celle entre les États occidentaux, sous hégémonie des États-Unis, et leurs « adversaires ». Cela le conduit à un « anti-impérialisme borgne », pour utiliser une formule charitable, passant sous silence, minorant en tout cas, le caractère répressif, autoritaire des États n’appartenant pas au « camp occidental » ainsi qu’à relativiser leurs massacres.  

Michel Collon n’a jamais varié ni dans son « campisme », ni dans ses méthodes. De l’implosion de la Yougoslavie, en passant par sa participation au colloque « Axis for Peace » à Bruxelles en novembre 2005 à son soutien, même s’il est parfois « qualifié », des régimes Kadhafi et al-Assad, la même technique, les mêmes obsessions sont à l’œuvre. Sous couvert d’une critique des « médiamensonges », Collon sème le doute, met bout à bout des déclarations et des faits, souvent tronqués, instruisant uniformément à charge le « camp occidental » et à décharge une série d’États prétendument opposés à l’Occident.  

Ainsi, pour ce qui a trait à l’Ukraine, dans ses conférences aux côtés de l’inénarrable « agent » helvétique Jacques Baud, il met en doute autant le massacre de Boutcha que la brutalité de l’attaque sur Marioupol (faisant fond sur les… médiamensonges russes concernant l’attaque de l’une des maternités de cette ville). Cette technique odieuse consistant à relativiser, voire à nier, des crimes de guerres et contre l’humanité opère, en revanche, de manière inverse lorsqu’il s’agit de condamner, à juste titre, les crimes de même nature commis par l’État d’Israël. C’est précisément le cœur de notre critique : le bombardement d’un hôpital ne peut jamais être relativisé, à Gaza, comme à Grozny, Alep ou Marioupol. C’est là une attitude internationaliste conséquente, qui est la nôtre. 

Donner la parole à Michel Collon, c’est donc renoncer à tout internationalisme, c’est accepter sa vision du monde binaire et campiste, celle d’une planète semblable à un vaste « jeu d’échec » où deux équipes asymétriques se feraient face, mais duquel les peuples et les sociétés, dans leur complexité et leur capacité d’agir contre l’oppression, sont absentes. C’est aussi se rendre complice d’une relativisation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, en Ukraine, en Syrie et ailleurs. Plutôt que de se livrer à une attaque complaisante et à bon marché des guerres menées par les États-Unis (lesquels sont invariablement condamnables, pour autant que l’on ne renverse pas la réalité en faisant d’un agresseur un agressé comme c’est le cas en ce qui concerne la Fédération de Russie), pourquoi ne pas entendre les syndicalistes et les militants de la société ukrainienne ainsi que ceux et celles qui s’efforcent de rendre compte de la complexité d’une situation qui réclame notre solidarité ? Une solidarité qui, par principe, doit être dirigée envers les peuples et non se mettre à la remorque d’États autoritaires, répressifs, auteurs de crimes de guerre et contre l’humanité. 

Nous ne pouvons que réclamer l’annulation de cette conférence indigne et suggérer de la remplacer par une discussion sur les solidarités concrètes et internationalistes, autant envers le peuple palestinien qu’envers le peuple ukrainien. 

Salutations préoccupées.

Le Comité de solidarité avec le peuple ukrainien et les opposant·e·s russes à la guerre (Vaud)

Lausanne, le 22 octobre 2024


Apprenant la venue à Lausanne le 30 octobre de Michel Collon pour une conférence organisée par le POP-Vaud intitulée « Palestine-Ukraine : décoder la propagande de guerre », le Comité de solidarité avec le peuple ukrainien et avec les opposant·e·s russes à la guerre a adressé au parti vaudois la lettre ouverte ci-dessus, lui demandant d’annuler cette conférence et de la remplacer par une « discussion sur les solidarités concrètes et internationalistes, autant envers le peuple palestinien qu’envers le peuple ukrainien ».

Notre lettre motive les raisons pour lesquelles nous avons attiré l’attention du POP-Vaud, organisateur de la conférence, sur les problèmes politiques que représentaient l’invitation de cet individu. Sans réponse de sa part, trois membres du Comité se sont présentés à l’entrée de la salle pour y distribuer respectueusement au public sa lettre ouverte. D’autres activistes se sont aussi émus, pour des raisons similaires, de cette invitation et l’ont fait savoir en distribuant un autre tract. Enfin, il semblerait que Michel Collon ait été au début de sa conférence la cible d’une tarte à la crème. Absent·e·s depuis un moment de la salle, nous n’avons pas assisté à cet épisode. Il n’en demeure pas moins que le POP-Vaud, le 8 novembre, a menacé le Comité de poursuites judiciaires s’il ne payait pas le nettoyage de la salle, accompagnant son courriel comminatoire d’une « lettre ouverte à la jeune femme qui a voulu m’entarter » de Michel Collon. Refusant d’être intimidé, le Comité a jugé nécessaire de revenir une fois de plus sur le fond, politique, de la question en y répondant ainsi que vous pourrez le lire ci-dessous.

Votre courriel du 8 novembre concernant la conférence de Michel Collon à Lausanne

Bonjour,

Votre courriel nous est bien parvenu.

Nous n’avons aucun motif d’y donner suite : la personne mentionnée dans votre lettre, que nous ne connaissons pas, est étrangère au Comité de solidarité avec le peuple ukrainien et les opposant·e·s russes à la guerre.

La lettre ouverte de Michel Collon que vous nous avez transmise ne nous est pas adressée.

Vous n’avez pas fait suite à notre propre lettre ouverte vous priant d’annuler cette conférence. Vos navrantes menaces ne nous intimident pas et ne nous empêchent en rien de revenir ici sur le fond.

Tout en affirmant ignorer les motifs de l’activiste « entarteuse », M. Collon se lance dans une série d’inférences, d’amalgames et de commentaires sans rapport avec le contenu de notre propre lettre ouverte. Il conclut avec une calomnie odieuse, en se dissimulant derrière une phrase rapportée que nos motivations résultent du fait que nous serions « payés » (par qui ?, cela reste mystérieux). Un tel procédé devrait suffire à disqualifier l’ensemble du contenu de sa lettre et invalide de fait sa volonté affichée de débattre.

La prétendue, et fastidieuse, « analyse d’image » à laquelle se livre M. Collon est hors de propos. Elle est tout au plus un nouvel exemple de sa technique favorite, celle consistant à semer le doute et à esquiver certaines questions. Alors que nous ne nous sommes nullement exprimés sur les liens, réels ou supposés, de M. Collon avec Messieurs Meyssan et Dieudonné, la question de l’opportunité politique de participer au colloque Axis for Peace de 2005 est ainsi complétement éludée par lui. En effet, le programme, les soutiens et la liste des invités sont pourtant révélateurs et permettent de croire qu’il ne s’agit pas uniquement d’une convergence « fortuite » de trois individus en un même lieu.

Cela nous conduit d’ailleurs à rappeler ce que nous vous reprochons en invitant Michel Collon : c’est, par opposition binaire, d’accepter de faire silence sur des régimes antidémocratiques et, pour certains d’entre eux comme le régime syrien de Bachar al-Assad, commettant des massacres à large échelle de leurs populations (y compris des réfugiés palestiniens, faut-il le rappeler?). Ce « campisme » n’est pas nouveau, il est assumé explicitement dans la lettre de Michel Collon. Face à un « ennemi principal », en vertu d’un anti-impérialisme borgne, il faudrait se placer à la remorque, y compris en faisant mine de se pincer le nez, de régimes défendant leurs « sphères d’influence ». Il est logique que le corollaire d’une telle orientation conduise à identifier tout mouvement de protestation contre ces régimes comme étant soit « à la solde des États-Unis », soit des instruments aveugles de cette grande puissance.

Pour un parti ouvrier et populaire, comme l’est le vôtre, il est profondément désolant d’offrir une telle place à un argument du même ordre que celui des patrons pour lesquels une grève serait provoquée par des « éléments extérieurs ». Nous nous interrogeons plus largement sur les conséquences politiques d’une telle vision. Seriez-vous, par exemple, à la recherche des agences étrangères qui ont stipendié, pour citer un exemple helvétique, les manifestant·e·s de la grève féministe de 2019 ou des manifestations pour le climat ?

Michel Collon, d’autre part, se livre à une explication de la tentative d’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie procédant d’une inversion entre agresseur et agressé. Cette explication efface en outre entièrement la société ukrainienne et son droit à se défendre face à une invasion. Celle-ci n’est à ses yeux au mieux qu’un jouet entre des rivalités géopolitiques (ce que soulignait l’illustration d’ouverture de votre conférence, présentant la guerre comme un face-à-face entre Biden et Poutine). La population ukrainienne est ainsi dépourvue de toute complexité, de toute aspiration à l’indépendance et à la liberté. Pire encore, mais ici Michel Collon joue la même partition depuis des décennies, votre invité minimise, voire relativise, des crimes de masse (dans le cas de l’Ukraine : les massacres de Boutcha et la destruction de la ville de Marioupol).

Nombre d’entre nous avons participé aux manifestations, voire à l’animation, du mouvement contre l’invasion de l’Irak par la coalition menée par les États-Unis en 2003 tout comme au mouvement de solidarité avec les peuples soulevés contre leurs régimes autocratiques au Maghreb et au Machrek à compter de l’hiver 2010-2011. Nous condamnons également la destruction de la bande de Gaza et de sa population, tout comme les incursions et bombardements au Liban menés par l’État d’Israël. Cela en vertu d’un internationalisme qui se veut conséquent, se plaçant aux côtés des peuples, refusant tout aveuglement. C’est dans cette optique que nous avons inscrit nos activités de solidarité avec le peuple ukrainien (nous renvoyons ici à nos deux déclarations de fondation). Tout cela loin des diatribes saugrenues et détestables contenues dans la lettre ouverte de votre invité.

C’est pour toutes ces raisons que nous vous avions exhortés à annuler cette conférence et proposé de la remplacer par une discussion d’un autre type. Nous ne sommes en rien responsables de votre insensibilité politique à nos arguments. Celle-ci a déjà un prix, en particulier au moment où l’unité des personnes et des groupes se réclamant des intérêts des opprimés est plus nécessaire que jamais.

Nous vous adressons nos salutations encore plus préoccupées.

Le Comité de solidarité avec le peuple ukrainien et les opposant·e·s russes à la guerre

Lausanne, le 9 novembre 2024