La «neutralité suisse» à la lumière de l’agression russe contre l’Ukraine

Le Temps, 16.05.23 •

Depuis le 1er mai, la Suisse préside le Conseil de sécurité de l’ONU, fonction largement symbolique mais qui devrait néanmoins conduire à respecter scrupuleusement les principes énoncés dans la Charte des Nations Unies de 1945. La Russie, qui l’a précédée à ce poste, ne le fait pas, sans que cela doive inciter les autorités suisses à l’imiter.

Or depuis le début de l’agression russe le 24 février 2022, le Conseil fédéral n’a pas brillé par son application rigoureuse de la Charte, et notamment de son article 1, demandant aux parties « de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix ». Sa position a en effet oscillé entre un ralliement timide aux sanctions internationales prises contre la Russie et une réaffirmation rigide du principe de neutralité, et il s’est contenté de dénoncer verbalement l’agression.

Plus d’une année après le début de la guerre, il faut toutefois rappeler quelques vérités historiques que les autorités suisses sont souvent promptes à oublier. La neutralité suisse est un principe qui a fortement évolué au gré des événements internationaux. Il a constamment été réinterprété depuis son instauration en 1815 par les puissances européennes qui voulaient empêcher que l’une d’entre elles s’empare de cette zone tampon importante et déséquilibre le rapport de force entre elles. Depuis deux cents ans, les gouvernements suisses successifs l’utilisent avec une habileté variable, mais en privilégiant toujours les intérêts économiques du pays, et ceux de ses entreprises exportatrices.

Se réfugier derrière cette « valeur sacrée » pour refuser aujourd’hui d’aider la résistance ukrainienne contre l’agresseur russe est aussi blâmable que la politique conduite par le Conseil fédéral à l’égard du IIIe Reich entre 1940 et 1945, lorsque la Suisse a largement coopéré avec le régime nazi, ou à l’égard du régime d’apartheid en Afrique du Sud avant 1991, en contournant les sanctions qui avaient été décrétées par la communauté internationale. Des décennies après les faits, la Suisse doit encore s’expliquer pour ces compromissions.

On aurait donc pu espérer que la leçon conduise le Conseil fédéral à se montrer aujourd’hui plus clairvoyant et courageux dans ses prises de position de politique internationale et sache reconnaître les moments où la responsabilité historique commande de participer à la défense d’un pays démocratique, souverain, reconnu dans ses frontières par la communauté internationale, attaqué par un régime autoritaire qui veut asservir l’Ukraine et, dans ce but, se livre à des destructions massives, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité depuis le début de son « opération militaire spéciale ». Si ce n’est aujourd’hui et dans ces circonstances, quand le Conseil fédéral placera-t-il les principes fondamentaux que le peuple ukrainien défend les armes à la main, au-dessus des intérêts économiques des banques et des entreprises actives en Suisse, en particulier des entreprises de négoce de matières premières dont les bénéfices inondent les comptes de certains cantons ?

Comme dans les années 1940, comme lors de l’apartheid, la Suisse joue aujourd’hui un rôle de premier plan dans la guerre que la Russie mène contre l’Ukraine, en abritant les fortunes des oligarques russes dans ses banques, en permettant aux entreprises russes de poursuivre leurs activités de négoce sur territoire suisse, en ne contrôlant pas les activités des entreprises suisses en Russie. Combien de temps encore le Conseil fédéral refusera-t-il de coopérer avec le G7 et l’Union européenne pour participer plus activement aux sanctions contre la Russie ? Combien de temps empêchera-t-il la réexportation par des pays ayant acquis du matériel de guerre produit en Suisse vers l’Ukraine ? Combien de temps la Suisse va-t-elle soutenir ainsi l’effort de guerre russe ? Le Comité vaudois de solidarité avec le peuple ukrainien et les opposant-e-s russes à la guerre condamne avec la plus grande fermeté la politique menée actuellement par les autorités suisses sur cette question. Il n’hésite pas à dire que celle-ci contribue à prolonger la guerre, en fournissant à la Russie des moyens de la financer. Ses responsables devront rendre des comptes pour leur inaction actuelle.

Le Comité vaudois de solidarité avec le peuple ukrainien et les opposant-e-s russes à la guerre

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